La classe inversée

Je pratique, en cours, la méthode appelée "la classe inversée". J'explique rapidement (ou pas), dans cette page en quoi cela consiste et les raisons pour lesquelles je l'ai adoptée.

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Qu'est-ce que la "classe inversée" ?

Normalement, en classe, le professeur fait le cours, les étudiants le suivent, prennent des notes, etc. et font leurs devoirs et les exercices, à la maison, sans le professeur. La classe inversée, c'est le contraire : les élèves découvrent le cours seuls, loin du professeur pour, ensuite, faire les exercices en classe, avec ce dernier.

C'est une nouvelle mode ? C'est juste pour faire bien ?

Oui, c'est assez nouveau. Mais je ne dirais pas que c'est une "mode", c'est trop péjoratif. Beaucoup de professeurs, et même de plus en plus de professeurs, s'y mettent par curiosité puis par conviction. D'ailleurs le phénomène commence à devenir conséquent, car le premier congrès sur la classe inversée a eu lieu cette année, en 2015, (voici la page consacrée). Je peux même vous dire que je ne suis pas le seul professeur de classe préparatoire à faire la classe inversée, ni même le seul professeur de Fabert !

Quant à "faire bien", non, ce n'est certainement pas pour cela que je le fais. Étant issu de la didactique, j'ai essayé beaucoup de choses, beaucoup de méthodes. À chaque fois, il y avait des côtés positifs et des côtés négatifs. Mais, là, avec la classe inversée (que je pratique depuis la rentrée 2013), j'ai constaté quelque chose de très positif : ceux (les étudiants) qui suivent la méthode, ceux qui font ce que je demande, progressent bien plus qu'avec toute autre méthode ! Autrement dit : appliquée sérieusement, c'est cette méthode qui garantit, non seulement le plus de progrès, mais aussi des progrès qui ne sont pas anodins !

Et c'est la raison principale qui fait que je la reconduis : ça marche et ça marche bien !

En pratique, cela se passe comment ?

Chacun a sa pratique, mais pour ma part, je fais la chose suivante :

  • je distribue les cours en avance (version papier en noir et blanc et version pdf en couleur) ;
  • je demande, pour chaque séance, de lire jusqu'à "telle page" ou "tel paragraphe" ;
  • la séance "de cours", séance de deux heures, est répartie en deux ou trois phases :
    • 1ère phase : je relis très le cours en le vidéoprojettant, de manière à insister sur les points important, à estampiller ce qui l'est moins et, surtout, à répondre aux questions ;
    • 2e phase : le cours étant pourvu de nombreux exemples, tout le monde refait ces exemples (qui, normalement, ont été lus avant de venir) sous forme d'exercices distribués dont l'énoncé a été distribué au préalable. Bien sûr, cela se fait "cahier fermé" et je corrige au tableau ;
    • 3e phase : lorsqu'on a fini de lire le cours jusqu'au point prévu (en ayant fait tous les exemples associés), on passe au TD.

Mais cela doit demander bien plus de travail à la maison ?

NON NON et NON Un cours "normal" demande aussi du travail à la maison : chaque soir, il faut reprendre ses cours, le griffonner, le travailler... Ici c'est pareil. La seule différence, c'est que le travail qui, d'habitude, se faisait "après" se fait, avec la classe inversée, "avant". Mais il n'y en a pas plus ! Par exemple, avec la classe inversée, il n'y a pas besoin de faire des exercice le soir ils se font en classe.

De plus, quand il faut "lire" le cours avant de venir, il faut "LIRE" le cours. Pas le "comprendre en entier", non, juste le lire. Ce qui permet de dégrossir l'ensemble, de comprendre une bonne partie des choses (tout ce qui est "facile" et il y en a toujours) et de voir la structure du cours, d'avoir une vision globale de "comment ça fonctionne". Ensuite, c'est en classe, lors de la phase 1 que les étudiants posent des questions sur ce qu'ils n'ont pas compris. Et, en phase 2, on met tout en pratique.

C'est sûr qu'un étudiant qui voudrait comprendre la totalité du cours avant de mettre un seul pied en classe aurait bien du mal, cela lui demanderait trop de travail. Ce n'est pas le but de la classe inversée. Le but c'est de comprendre, seul, tout ce qui est "facile" et, ensuite, de pouvoir comprendre le reste avec un professeur et, surtout en mettant en pratique aussi vite que possible tout ce qui a été vu.

Sauf que là, l'étudiant qui ne prépare pas, il ne peut rien faire en classe...

Exact. Mais, notamment en prépa où les cours ont une certaine "densité", ceux qui ne travaillent pas, le soir même, les cours magistraux du jour, à moins d'être excellents et d'avoir une mémoire d'une incroyable efficacité (ce qui est bien plus rare qu'on ne le croit), n'arrivent pas, au bout de quelques temps, à suivre en classe. N'ayant pas travaillé régulièrement, ils ne connaissent pas certains mots de vocabulaires, certaines notions... Combien de fois ai-je vu des étudiants recopier ce que j'écrivais au tableau, mais avec un demi voire un tableau de retard ! Et nous savons tous qu'on ne peut pas écrire quelque chose en étant concentré sur autre chose. Donc, là non plus, ce n'est pas profitable à cause d'un manque de travail.

En fait, on retombe sur le fait qu'un étudiant qui ne travaille pas sérieusement en dehors de la classe aura des difficultés. Oui, c'est vrai. Est-ce surprenant ? Est-ce choquant à ce niveau d'étude ?

Quels sont les avantages, finalement ?

Ils sont très nombreux ! Déjà, il y a le fait qu'en physique en prépa, on a beaucoup trop peu de séances d'exercices : une heure contre six heures de cours. En mathématique, en PC toujours, c'est officiellement six heures de cours pour trois heures de TD. Or, tout le monde le sait bien, on n'apprend véritablement qu'en pratiquant. Autrement dit, il faut mettre en œuvre les lois pour les "assimiler". Il faut faire des exercices. Et la classe inversée démultiplie le nombre d'heure de TD.

Un autre avantage est que le cours, aussi passionnant puisse-t-il être, surtout en physique, comporte des phases rébarbatives mais indispensables et des phases passionnantes mais pas très importantes "pour le programme". Dans les deux cas, en cours usuel, devant tout le monde, cela pose problème :

  • les phases rébarbatives, tout le monde s'ennuie, mais on est obligé d'y passer (démonstration de cours au programme) et cela fait perdre du temps ;
  • les phases passionnantes "mangent" du temps et le professeur a tendance à la raccourcir car "il a un programme à finir".

Avec la classe inversée, la partie rébarbative se réduit à la plus simple expression en cours. Il suffit pour le professeur d'expliquer le ou les points cruciaux de la démonstration sans refaire tous les calculs. Ce qui, de fait, laisse plus de temps pour les discussions passionnantes !

Autre avantage de taille : le rythme s'adapte à chacun et pas à la moyenne des "lents". En effet, en cours usuel, le professeur a tendance à faire en sorte que la majorité de la classe (disons les 3/4) suivent "à peu près". Pour cela il se fie à tout un tas de signaux comportementaux (comme les yeux dans le vide). Et il ralentit souvent quand la classe ne comprend pas. Sauf que ce ne sont pas toujours les mêmes qui ne comprennent pas. C'est pourquoi, du point de vue de l'étudiant, certaines parties peuvent sembler aller vite et d'autres trop lentement. Avec la classe inversée, chacun est seul devant le cours : les parties faciles, il les zappe, les parties plus chaudes, il y passe (un peu) plus de temps. Personne ne ralentit personne, chacun va à son propre rythme. Et ça, c'est très précieux.

Encore un avantage, crucial aussi : le professeur peut faire du travail "personnel" à chaque séance. En effet, en classe, dans un cours magistral "usuel", il était rare que qu'un professeur fasse intervenir plus de 8 à 10 étudiants par cours (entre ceux qui posent des questions et ceux directement interpelés pour répondre à une question). Là, avec la classe inversée, on arrive à aller voir personnellement chaque étudiant à chaque séance. Tout le monde, même ceux qui sont timides, peut poser sa question "en privé" si le besoin s'en fait senti. Il y a une interaction bien plus fréquente et c'est très profitable pour tous : pour les étudiants évidemment et pour le professeur pour voir "en direct" les points les plus délicats.

Enfin, dernier avantage, sur le plus long terme, c'est que, plus tard, dans la vie professionnelle, on n'apprend plus que comme cela. Beaucoup par soi-même avec de la biblio et un professeur vu une fois par semaine (ou moins) qui n'est là que pour répondre aux questions. Ce qui fait que la plus grande partie de l'apprentissage se fait seul, face à des documents écrits ou numériques. Faire la classe inversée prépare à cela.

Il doit bien y avoir des inconvénients, non ?

Oui. Pour le prof, cela demande d'avoir ses cours en avance et donc il ne peut plus faire beaucoup d'improvisation. Cela ne signifie pas qu'il ne déviera jamais du plan prévu et qu'il ne répondra à aucune question en dehors des clous, non, mais cela veut dire que si mardi il y a un cours de thermodynamique, le cours doit avoir été tapé et photocopié le vendredi au plus tard. Ce qui n'est pas toujours aussi simple qu'on pourrait le croire. Mais, au fond, cet inconvénient, pour l'étudiant, c'est assez transparent.

L'autre inconvénient, c'est qu'au delà d'une classe de 35-36, c'est assez difficile à gérer car il faut passer dans les rangs et répondre à tout le monde. 35 - 36 étudiants, à raison de deux heures de cours, c'est 4 minutes max par étudiant (en général plutôt 8 car les étudiants ont tendance, et c'est une bonne chose, à travailler par deux). Et encore, c'est sans compter la phase 1 (relecture du cours) qui mange une partie de l'horaire.

L'autre inconvénient est que cette méthode est peu connue et peu employée. Résultat : les étudiants n'ont pas l'habitude et, donc, la pratiquent mal : ils ne lisent pas systématiquement les cours en avance, laissent le cours ouvert en faisant les exercices en classe, continuent à faire des exercices à la maison au détriment de la relecture du cours... Conséquence : les progrès ne sont pas là. Donc ils ne croient pas à la classe inversée, donc essaie d'y échapper en faisant "comme avant", donc ont encore plus de difficultés car ils ne sont pas en phase avec le prof, donc les progrès sont minces, donc ils ne croient pas à la classe inversée... cercle vicieux.

Le dernier inconvénient, c'est que cela ne peut pas convenir à tout les étudiants. Mais, j'ai envie de dire, comme toutes les méthodes d'enseignement : aucune n'est ultime, aucune n'est miraculeuse et permet à tous les étudiants de devenir des génies en physique sans trop d'effort personnel.

Tout le monde peut faire la classe inversée en prépa ?

Je pense que oui. De là à dire qu'il faut que tout le monde fasse la classe inversée, non, certainement pas. Le problème est que les mentalités mettent du temps à changer, surtout en matière d'éducation. Et une fois qu'un prof a "son cours", "ses exos" et, surtout, "sa routine", pour le faire évoluer, c'est très difficile... surtout passé 30 ans d'expérience. Et, ce qu'il ne faut surtout pas faire dans l'enseignement, c'est imposer une méthode à des professeurs qui ne la comprennent pas, ou qui la comprennent mais y sont réfractaire. C'est pire que tout. L'autre (grand) exemple de méthode à polémique, c'est la suppression des notes, mais c'est un autre débat.

Alors, oui, tout le monde peut faire la classe inversée s'il en a les moyens et l'envie. Mais comme ce n'est pas une méthode miracle, mieux vaut un prof qui fait très bien une méthode usuelle plutôt qu'un prof qui fait mal et à contrecœur la classe inversée.

Publié le vendredi, août 14 2015 par Quetzalcoatl Quetzalcoatl